Un fichier liberticide

Le 27 juin 2008, le gouvernement autorisait la création d’un fichier de police ultra centralisé baptisé « EDVIGE » (Exploitation documentaire et valorisation de l’information générale)*. Allant bien au-delà des cibles et des contenus du fichier des renseignements généraux de 1991, il permettait le fichage de toute personne de plus de 13 ans qui soit :

 faisait l’objet d’une enquête administrative,

 exerçait un mandat politique, syndical ou économique,

 jouait un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif,

 était jugée «susceptible de porter atteinte à l’ordre public».
EDVIGE recensait de très nombreux renseignements dont les données à caractère personnel définies par l’article 8 de la loi Informatique et libertés de 1978 : origine raciale ou ethnique, opinions politiques, philosophiques ou religieuses, appartenance syndicale, santé et vie sexuelle. Quiconque, dès lors qu’il avait plus de 13 ans, pouvait y figurer uniquement sur la base d’une dangerosité présumée. La CNIL avait désapprouvé le texte, demandant plus de garanties légales, le report de l’âge minimum à 16 ans, l’effacement des informations après quelques années, au nom du «droit à l’oubli».

Une mobilisation citoyenne exceptionnelle

Début juillet, un collectif «Non à EDVIGE» se constitue à l’initiative de la Ligue des Droits de l’Homme.
Une pétition* exigeant le retrait du décret est signée par plus de 200 000 individus et plus de 1100 organisations, collectifs, partis et syndicats…

Recours en Conseil d’Etat, conférences de presse, blogs, initiatives locales, prises de position contre ce système de suspicion généralisée se multiplient, y compris a l’intérieur même de la majorité gouvernementale. Avec humour, le collectif invite les citoyens à adresser au ministère de l’intérieur une parodie de fiche intitulée «Facilitez le travail de la police».
Partout, des manifestations se préparent pour le 16 octobre, jour de la Sainte-Edwige pour «faire sa fête» au fichier. Impossible de maintenir plus longtemps un texte suscitant un tel tollé. Pour sortir de la tornade suscitée par EDVIGE, le ministère de l’Intérieur recule et dépose le 19 septembre à la CNIL un nouveau décret. C’est un succès de la mobilisation, mais…

Rien n’est réglé !

EDVIRSP (Exploitation documentaire et valorisation de l’information relative à la sécurité publique) ne contiendra plus aucune donnée touchant à l’orientation sexuelle ou à la santé… mais rien ne lui interdira de stocker des données ethniques, raciales, politiques, syndicales ou religieuses ! Les «personnalités» n’y figurent plus. Leur fichage, dissocié, est assuré… en préfecture ! A la notion «d’ordre public» inscrite dans EDVIGE, EDVIRSP substitue celle de «sécurité publique». Mais il suffit toujours d’être «susceptible» de commettre une infraction. Toute personne de plus de 13 ans «susceptible de porter atteinte à la sécurité publique» pourra donc y figurer, en violation directe du principe constitutionnel de présomption d’innocence. Le fichage de mineurs est maintenu. Inacceptable. Dans le cadre d’une politique pénale de moins en moins éducative et de plus en plus répressive, il vise explicitement la jeunesse des banlieues et des quartiers populaires, a priori potentiellement dangereuse. L’effacement du fichier, à la majorité, de données concernant des faits qui n’ont jamais eu lieu frise l’absurdité. D’autant que ce «droit à l’oubli » reste hypothétique. Si entre 16 et 18 ans, le jeune a fait l’objet d’un nouvel enregistrement, il reste fiché jusqu’à 21 ans.
Le projet de décret n’offre pas non plus les garanties exigées par les députés de la commission des lois : renforcement du pouvoir de contrôle de la CNIL, droit de rectification de leur fiche par les citoyens, traçabilité de l’accès au fichier par les policiers.

Le collectif «Non à EDVIGE» dont la FSU est partie prenante «ne se satisfait pas des modifications annoncées par le gouvernement et continue d’exiger le retrait du décret». Il «maintient sa demande d’un débat public». Il appelle «à poursuivre la mobilisation en signant l’appel et en démultipliant les collectifs locaux pour réussir la journée d’action du 16 octobre à l’occasion de la Sainte Edwige».

Béatrice Bonneau

* Note de novembre 2008 : Le nouveau décret : Décret n° 2008-1199 du 19 novembre 2008 portant retrait du décret n° 2008-632 du 27 juin 2008 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE »