La Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP, ministère de la Fonction publique) a convié les fédérations de fonctionnaires à une série de groupes de travail sur le thème « recruter, gérer, évaluer et rémunérer dans un cadre statutaire ».

Il s’agit de promouvoir le livre blanc sur l’avenir de la Fonction publique, élaboré par Jean Ludovic Silicani à la demande du gouvernement, qui en a fait sa bible et sa boussole en matière de modernisation de la Fonction publique.Le rapport Silicani recèle bien d’autres dangers encore pour le statut de la Fonction publique. Il est pétri de l’idéologie ultralibérale qui veut abolir les frontières entre service public et entreprise privée pour soi-disant
« libérer les initiatives », en fait pour détruire tout ce qui constitue des garanties collectives fortes à la fois pour les usagers et les fonctionnaires.

C’est ainsi qu’il prône l’individualisation à outrance des carrières et des rémunérations, qu’il veut réduire à néant le rôle des CAP, qu’il entend substituer le contrat au statut, le tout dans un contexte de réduction drastique du champ des services publics.

Ses quarante propositions constituent le
magasin d’outillage aux rayons du quel puise le
gouvernement pour tenter de mener à bien la RGPP.

Ces orientations rencontrent l’opposition de nombre d’organisations syndicales, dont la FSU. Il faut que ces résistances se fédèrent, en impliquant les personnels, pour que les services publics et ses agents demeurent une richesse collective.

Des cadres statutaires à la place des corps

C’est une idée déjà ancienne qui refait surface : il y aurait beaucoup trop de corps, ce qui complique la gestion et constitue un obstacle à la mobilité. Il s’agirait donc de supprimer les quelque 500 corps et 200 statuts d’emploi pour leur substituer une cinquantaine de cadres statutaires interministériels.
Chaque cadre statutaire se situe au croisement entre :
· 7 filières professionnelles, chacune représentant un « ensemble cohérent de qualifications et de métiers », éventuellement subdivisées en spécialités : administration générale ; finances et fiscalité ; social ; éducation et recherche ; culture ; technique ; sécurité ;
· et 4 niveaux de qualification : CAP/BEP ou aucun diplôme ; baccalauréat; licence ; master.

La DGAFP s’est engagée à produire d’ici la fin de l’année 2008 la maquette prototype des cadres statutaires de la filière administration générale.

Des modalités de recrutement profondément modifiées

Les recrutements par concours dans ces cadres statutaires seraient organisés soit par un ministère « chef de file », soit par une école (type IRA), soit par un « opérateur dédié ».
Les lauréats seraient classés par ordre alphabétique sur une liste d’aptitude, à charge pour eux de se trouver une affectation via la bourse de l’emploi public. Les employeurs potentiels qu’ils auront démarchés sont libres de retenir ou non leur candidature. Malgré les questions que nous avons posées, il n’a pas été possible de savoir quel serait le sort de ceux qui ne seraient acceptés par aucun employeur.

La fin du contrôle paritaire sur les mouvements

La notion de mutation sur la base d’un mouvement soumis à l’avis de la CAP disparait. S’y substitue celle de recrutement en cours de carrière. Il appartiendrait à chaque fonctionnaire qui veut changer d’affectation d’effectuer lui-même les démarches auprès des responsables des services souhaités, qui sont là encore libres d’accepter ou non, hors de tout contrôle paritaire.

Qu’il s’agisse de recrutement initial ou en cours de carrière, le fonctionnaire qui arrive sur un poste s’y voit notifier une « convention d’affectation » qui fixe les missions, les objectifs et la durée du poste. Ce dernier point sous entend que ce ne serait plus le fonctionnaire qui décide seul s’il souhaite quitter un emploi, mais que désormais, au terme de la convention d’affectation, il pourrait être contraint de le faire à la seule initiative de son chef de service.

Quelle place pour le contrat dans la Fonction
publique ?
(propositions 11 à 14)

Le recours au contrat, à côté du statut, est présenté
comme indispensable pour satisfaire aux principes
d’adaptabilité et de continuité du service.
Il est proposé que chaque administration évalue le
volume d’agents contractuels dont elle aurait besoin à
moyen et long terme dans le cadre de sa politique
générale de recrutement.
Sans abandonner le contrat de droit public, le rapport
entend consacrer le recours au contrat de doit privé pour
les missions ne comportant pas de prérogatives de
puissance publique.
Il propose même de « décloisonner » l’emploi statutaire
et l’emploi contractuel en développant des règles de GRH
communes aux statuts et aux contrats, et en soumettant
titulaires et contractuels aux mêmes droits et obligations.
Cela préfigure une fonction publique duale, dans laquelle
le recours au contrat, et donc à la précarité de l’emploi,
serait banalisé, généralisé et institutionnalisé.

Individualisation des carrières et des
rémunérations
(propositions 29 et 30)

C’est dans le livre blanc que le gouvernement a puisé ce
qui l’a amené à créer la PFR, sur la base du diagnostic
que « le système actuel de rémunération rend impossible
la mise en place d’une gestion moderne des ressources
humaines » (sic) et que « la modulation individualisée
des rémunérations est trop faible » (re sic).
Il pointe que la part de l’indemnitaire dans la
rémunération est actuellement trop faible et trop
contrainte par l’existence de primes dites fixes pour
« mettre en oeuvre une politique de rémunération au
mérite significative ».

Renforcement des pouvoirs de l’encadrement …
(propositions 21, 22, 23, 36 et 37)

L’omniprésence de la notion de mérite individuel et la
volonté de facilité la mobilité dans une perspective de
redéploiement conduisent naturellement au renforcement
du pouvoir hiérarchique des chefs de service. Elles
conduisent aussi à une hypertrophie des services de
« gestion des ressources humaines ». Cela peut sembler
un paradoxe dans un contexte de suppressions massives
d’emplois. Mais c’est que leur fonction est
essentiellement destinée à rendre « socialement
acceptables » les régressions engendrées par la RGPP ;
d’où la place qu’accorde le rapport à la GRH et à la
formation (pour ne pas dire au formatage) des cadres
aux techniques du management moderne.
Ainsi les chefs de service auront, en premier et dernier
ressort, la haute main sur la plupart des actes de gestion
qui déterminent la carrière des personnels placés sous
leur autorité : affectation, mobilité, rémunération (au
mérite, naturellement), promotion.

… et affaiblissement corrélatif du paritarisme

Dessaisies de toute forme de consultation sur les
mouvements et les listes d’aptitude, les CAP n’auraient
plus à connaître que de l’avancement (avec quel pouvoir
de contrôle sur l’appréciation des « mérites » individuels ?),
de la procédure disciplinaire et … du licenciement. Le
livre blanc, regrettant que la possibilité de licenciement
pour insuffisance professionnelle soit trop peu utilisée,
propose en effet d’y recourir plus systématiquement pour
les agents « devenus inemployables » (proposition 23),
en utilisant les ressources offertes par les procédures
d’évaluation.

On voit bien que ce livre blanc ne propose pas qu’un
simple toilettage de la Fonction publique mais que sa
traduction législative et réglementaire, si elle devait se
concrétiser, représenterait un recul considérable tant
pour les fonctionnaires que pour les usagers.