Fonctionnaires et contractuels : vers l’égalité de traitement en matière de rémunérations ?

 

La CJUE (Cour de justice de l’union européenne) juge, par un arrêt du 20 juin 2019 (n° C 72-18) qu’un agent contractuel (dans l’affaire, un enseignant en Espagne) a les mêmes droits à complément de rémunération qu’un contractuel, dès lors que le seul critère d’obtention est l’ancienneté. Il s’agissait d’un professeur recruté par CDD de droit public. Il avait sollicité le bénéfice du complément de rémunération alloué,  en application d’un texte réglementaire, aux professeurs fonctionnaires ayant une ancienneté identique à la sienne. Le tribunal administratif de Navarre, saisi par l’enseignant, renvoie à la CJUE la question de l’interprétation de l’accord-cadre européen concernant les contrats à durée déterminée.

Les conditions objectives d’emploi ne doivent pas être moins favorables :

Cet accord prévoit que « pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée* ne sont pas traités d’une manière moins favorable (…) à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives ». Elle rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que « le critère décisif pour déterminer si une mesure relève de la notion de « conditions d’emploi » est précisément celui de l’emploi, à savoir la relation d’emploi établie entre un travailleur et son employeur ». Ainsi relèvent par exemple de cette notion une prime de formation continue (2012) ou, comme en l’espèce, une prime d’ancienneté (2018).

La CJUE relève que le requérant remplit la condition objective requise pour le versement du complément de rémunération (une ancienneté de six ans et sept mois), la seule condition qu’il ne remplit pas est celle, « subjective » (dans le sens : relative à sa personne) d’être fonctionnaire. Elle conclut que l’accord européen « s’oppose à une réglementation nationale réservant un complément de rémunération aux (…) fonctionnaires statutaires ».

L’égalité de traitement contractuels/titulaires  deviendrait le principe… :

Par cet arrêt, bien qu’il ne vise pas l’Etat français, la CJUE remet en cause un des principes du Conseil d’Etat, selon lequel le principe d’égalité de traitement entre contractuels de droit public et fonctionnaires n’est pas applicable. Cette différence de statut d’emploi ne pourra plus désormais être invoquée par principe : les raisons invocables pour justifier une différence de traitement devant selon la CJUE reposer sur des faits « objectifs et concrets »,  qui « peuvent résulter, notamment, de la nature particulière des tâches pour l’accomplissement desquelles des contrats à durée déterminée ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ».

… alors que la jurisprudence française dit jusqu’à présent le contraire :

La jurisprudence française a rappelé souvent à l’inverse que « les agents contractuels et les fonctionnaires titulaires ne se trouvent pas dans la même situation juridique au regard du service public ; que, par suite, l’administration n’est pas tenue de soumettre les uns et les autres à la même réglementation, notamment en ce qui concerne les modalités de leur rémunération ».

Le principe de liberté de rémunération, qui s’oppose à la notion de carrière pour les contractuels, est déjà nuancé :

Le principe appliqué jusqu’ici est celui de la liberté de rémunération, qui refuse aux agents le droit à évolution indiciaire, c’est-à-dire à un système de carrière. Notons toutefois que, même dans ce cadre, la différenciation entre fonctionnaires et contractuels s’estompe : le principe de libre rémunération a été atténué, des critères ayant été définis pour en apprécier le montant (cf. article 1-3 du décret 86-83 : « La rémunération des agents employés à durée indéterminée fait l’objet d’une réévaluation au moins tous les trois ans »).

L’application du principe d’égalité de traitement aura logiquement d’importantes conséquences en matière de rémunération des contractuels :

Cet arrêt de la CJUE ne manquera pas d’avoir d’importantes conséquences sur le droit français. Le Conseil d’Etat devra logiquement élargir sa jurisprudence relative au principe d’égalité : seule une différence objective entre contractuels et fonctionnaires pourra fonder une différence de traitement. Par exemple, l’Etat pourrait ne pas pouvoir continuer à refuser la NBI aux contractuels. Plus largement, on va probablement vers des régimes de rémunération et indemnitaires comparables.

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* Ici, par opposition aux fonctionnaires, à durée indéterminée par définition. Il est probable qu’une situation semblable discriminant des contractuels en CDI  par rapport à des fonctionnaires pourrait encourir la même condamnation.