Discriminations et fonction publique
Le statut général de la fonction publique protège en principe des discriminations. Un certain nombre de précisions et d’avancées jurisprudentielles ont peu à peu contribué à faire évoluer la règle de droit ou à la préciser. Les types de discriminations évoqués dans cet article constituent une liste non limitative.
Discrimination et charge de la preuve
Le Conseil d’État a rappelé les règles d’administration de la preuve en matière de discrimination. Une magistrate, suspectant son administration d’avoir rejeté sa candidature à un poste en raison de son appartenance syndicale, demande au juge administratif l’annulation de cette décision. Le Conseil d’Etat fait droit à sa demande : “s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination” ; “la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; (…) en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile” (CE 10 janvier 2011, N° 325268).
Discrimination fondées sur la maladie
Une femme diabétique insulinodépendante s’était présentée à un concours externe d’adjoint administratif. Sa candidature avait été refusée pour incompatibilité avec l’emploi d’adjoint administratif, notamment parce qu’une telle affection aurait été susceptible de lui ouvrir droit à des congés de longue maladie. Le Tribunal administratif ordonne une expertise médicale. Sur la base du rapport d‘expertise, qui établissait que le diabète de la candidate ne constituait pas un obstacle à l’exercice des fonctions rattachées au poste d’adjoint administratif, le Tribunal administratif a suivi les conclusions de la Halde : la décision de refus de candidature au concours a été annulée, et l’État a été condamné à verser un total de 12000 euros d’indemnités (TA de Lyon, 30 décembre 2009).
Discrimination fondée sur l’âge
La Cour de Justice de l’Union européenne a précisé sa jurisprudence en matière de non-discrimination fondée sur le critère de l’âge. Elle a examiné la légalité d’une disposition fixant à 30 ans l’âge maximal de recrutement dans le service technique intermédiaire des pompiers. La Cour a admis que “les tâches de lutte contre les incendies et de secours aux personnes (…) ne peuvent être accomplies que par les fonctionnaires les plus jeunes. Les fonctionnaires âgés de plus de 45 ou de 50 ans exécutent les autres tâches”. Cette disposition est donc appropriée à la poursuite de “l’objectif consistant à assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement du service des pompiers professionnels” et par conséquent compatible avec la directive 2000/78/CE relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, selon la Cour (CJCE, 12 janvier 2010, Colin Wolf contre Stadt Frankfurt-am-Main).
Discrimination fondée sur l’origine
Dans le cadre d’un concours interne de la Police nationale, des questions à forte connotation raciste sont posées à un candidat : “Faites-vous le ramadan ?”, “Votre femme porte-t-elle le voile ?“, “Votre avis sur la corruption des fonctionnaires de police marocains ?”. Avec une note de 4/20 à cet oral, le policier est recalé. Saisi pour une requête en annulation, le Conseil d’État a jugé que les questions soumises au candidat, “qui sont étrangères aux critères permettant au jury d’apprécier l’aptitude d’un candidat, sont constitutives de l’une des distinctions directes ou indirectes prohibées par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et révèlent une méconnaissance du principe d’égal accès aux emplois publics”. Le Conseil d’État a donc annulé le résultat du concours, et a condamné l’État à verser 3000 euros de dédommagement à la victime (CE, 10 avril 2009 n° 311888).
Discrimination fondée sur le sexe
Sous l’influence de la Cour de justice des communautés euro- péennes, qui a condamné la France pour avoir maintenu des recrutements distincts non justifiés au regard de la directive CEE du 9 juillet 1976, la loi a inséré différentes dispositions dans le statut. Ainsi, l’article 6 bis du titre I pose le principe de l’interdiction de toute discrimination entre les fonctionnaires en raison de leur sexe.
Discrimination fondée sur le handicap
Une personne sourde a été engagée pour occuper dans une bibliothèque départementale de prêt un emploi d’adjoint administratif en janvier 1999. Un avis défavorable à la titularisation conduit au licenciement de l’agent. Ses demandes tendant à l’annulation du licenciement ont été rejetées par la cour administrative d’appel de Lyon et la Cour de cassation. Le Conseil d’Etat annule cette décision en précisant que cette annulation n’implique pas nécessairement la titularisation de Mme X à la date de son licenciement, mais implique nécessairement la réintégration de Mme X à la date de son licenciement et l’adoption des mesures nécessaires à la mise en oeuvre, selon les modalités prévues par le décret du 10 décembre 1996 relatif au recrutement des travailleurs handicapés dans la fonction publique, d’une seconde année d’exécution de son contrat (CE, 26 mai 2010, n° 305356).
Discrimination fondée sur la situation de famille
L’interdiction de cette discrimination, ajoutée par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 dite « de déontologie » au deuxième alinéa de l’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, vise à compléter les garanties des fonctionnaires, en ajoutant la situation de famille parmi les discriminations prohibées à l’encontre d’un agent public.
La situation de famille peut, en effet, entraîner des discriminations opérées à raison de la situation matrimoniale, de la nature de la filiation, d’une situation de concubinage ou de PaCS ou encore de l’absence ou de l’existence d’enfants. Les discriminations en fonction de la situation de famille sont réprimées pénalement (par l’article 225‑1 du code pénal) et interdites, pour les salariés du secteur privé, par l’article L. 1142‑1 du code du travail (la situation de famille ne peut être mentionnée dans une offre d’emploi et ne peut motiver un refus d’embauche, une mutation ou la résiliation du contrat de travail).
En droit de la fonction publique, la situation de famille était déjà prise en compte dans certaines décisions relatives à la carrière des agents (par exemple le rapprochement de conjoints), mais elle était ignorée de la liste des discriminations interdites, fixée à l’article 6 de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Les dispositions du Statut général visant à lutter contre les discriminations s’appliquent aussi aux agents non titulaires de droit public.
Sont également interdits les distinctions liées au sexe, le harcèlement sexuel et moral.
Jurisprudence
Origine et âge des candidats
M.X., candidat aux épreuves du concours interne d’accès au corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts au titre de 2014, demande au Conseil d’État l’annulation de la délibération du jury de ce concours fixant la liste des candidats admis et leur décret de nomination et de titularisation. M.X. soutient, d’une part, que certains candidats ont été favorisés par le jury du concours au motif qu’ils étaient issus des »aires urbaines » de Paris ou de Lyon.
Le Conseil d’État accepte d’examiner les éléments statistiques produits par M. E.,mais les considère insuffisamment probants. Il écarte donc ce moyen, au motif que ni la circonstance que les membres du jury avaient leur résidence administrative dans l’une ou l’autre de ces deux zones géographiques, ni le fait que le taux d’admission sur liste principale et complémentaire des 21 candidats admissibles qui résidaient dans l’une ou l’autre de ces deux zones géographiques s’élève à 57,14 %, alors que ce taux n’est que de16,67 % pour les 12admissibles qui n’y résidaient pas, ne sont de nature à faire présumer une atteinte au principe d’égalité de traitement.
M. X. soutient, d’autre part, que le jury a illégalement introduit dans son appréciation un critère lié à l’âge des candidats. Selon lui, la probabilité qu’aucun des dix candidats âgés de plus de trente-cinq ans déclarés admissibles ne figure sur la liste des admis n’avait, eu égard au nombre des admissibles et des admis, qu’une chance sur mille de se produire.La haute juridiction considère que « ce calcul, qui repose sur plusieurs hypothèses statistiques non établies quant à la valeur des candidats, ne constitue pas en l’espèce, compte tenu, en outre, du petit nombre de candidats sur lequel repose ce calcul de probabilités, une circonstance susceptible de faire présumer une atteinte au principe d’égalité de traitement entre les candidats à ce concours ». Les requêtes de M. X. sont donc rejetées(CE, 16 octobre 2017, n° 383459).
Au-delà du rejet dans ce cas d’espèce, on constate donc que devant le juge administratif des données statistiques peuvent constituer des éléments de faits susceptibles de faire présumer une discrimination.
Handicap : quelle sanction de la mauvaise adaptation du concours ?
Annulation du concours…
Fonctionnaire atteint d’un handicap auditif et visuel, le requérant avait obtenu devant le Conseil d’État l’annulation des délibérations du jury du concours, auquel il avait échoué en 2007 et l’autorisation de se présenter à une nouvelle session, au motif que les mesures d’adaptation appropriées n’avaient pas été prises : “si l’aide à la lecture a été finalement apportée au requérant, il n’est pas contesté qu’elle l’a été par une personne n’ayant pas les aptitudes requises pour procéder à la lecture à haute voix du dossier de l’épreuve de note de synthèse dans des conditions répondant aux exigences de ce concours “. (CE, n° 318565,18 novembre 2009). Déjà présente dans la loi n°75-534 du 30 juin 1975, l’obligation d’adaptation des épreuves de concours, qui poursuit un objectif d’égalité, a été introduite dans le statut général par la loi n° 2005-102 du 11 février2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (loi du 11 janv.1984, art. 27, 1 :“Aucun candidat (…) ne peut être écarté, en raison de son handicap, d’un concours ou d’un emploi de la fonction publique, sauf si son handicap a été déclaré incompatible avec la fonction postulée à la suite de l’examen médical destiné à évaluer son aptitude à l’exercice de sa fonction (…) “
… rejet de la demande de réparation…
Il demande alors au juge de première instance réparation des préjudices subis,mais est débouté (TA de Versailles, 16 juin 2014). Il fait appel de ce jugement qui,d’une part, ne s’est pas prononcé sur sa demande d’indemnisation du préjudice moral et d’autre part, a rejeté sa demande au titre de la perte de chance de réussir le concours.
…et en appel, reconnaissance de la responsabilité de l’administration …
La cour administrative d’appel considère que “l’absence d’adaptation des épreuves du concours interne d’inspecteur de l’action sanitaire et sociale de l’année 2007 au handicap visuel du requérant est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat”… indemnisation pour le préjudice moral. La cour administrative d’appel fait droit à sa demande sur le premier point et lui accorde une indemnité au titre du“préjudice moral né des conditions de stress dans lesquelles il a été contraint de concourir” et lui alloue la somme demandée : 3 000 €.
…mais la perte de chance n’est pas établie.
Elle estime en revanche que les éléments du dossier, dont plusieurs échecs antérieurs au même concours, ne permettent pas d’établir une perte de chance sérieuse : “M. X fait valoir que cette faute lui a fait perdre une chance sérieuse de réussir ledit concours et de faire une carrière plus rémunératrice d’inspecteur de l’action sanitaire et sociale ; qu’il résulte cependant de l’instruction que M. X a échoué, sans même avoir été admissible, à deux précédentes sessions de ce concours, pour lesquelles il avait normalement bénéficié d’aménagements particuliers des épreuves ; que les circonstances qu’il a suivi en 2006-2007 une préparation spécifique organisée par l’Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique de Rennes et qu’il s’est vu confier par sa hiérarchie une mission du niveau d’un inspecteur, sont insuffisantes pour établir une perte sérieuse de chance de réussite à ce concours où seulement 10 %des candidats ont été reçus”. Pour écarter la perte de chance, la cour insiste sur les échecs antérieurs de l’intéressé au même concours. au stade de l’admissibilité. A contrario, une admissibilité antérieure pourrait donc devenir un élément permettant d‘établir une perte de chance.
La cour insiste aussi sur les probabilités statistiques comme élément pouvant permettre d’apprécier s’il y a eu ou non perte de chance de réussite au concours (CAA de Versailles, N° 14VE02548 24 mai 2016)