Rémunération et notion de service fait

La notion de “service fait” et ses conséquences pour l’agent public

La rémunération est due après service fait

Le principe du « service fait » est un dispositif protecteur des deniers publics qui interdit de payer une dépense publique, avant que les prestations qu’elle rémunère n’aient été effectivement exécutées par le partenaire de l’organisme public (fournisseur, agent…).

Les fonctionnaires ont droit, après service fait, à une rémunération comprenant le traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ainsi que les indemnités instituées par un texte législatif ou réglementaire (art. 20 de la loi n° 83-634 du 13 juil. 1983).

Le principe est donc la rémunération après service fait.

Toutefois, les dispositions statutaires prévoient des situations dans lesquelles l’agent est autorisé ou contraint à ne pas accomplir tout ou partie de son service, en continuant à percevoir une rémunération, notamment : congés rémunérés, suspension, décharge d’activité de service, autorisations d’absence, congé spécial, maintien en surnombre, exercice du droit de retrait. La jurisprudence a aussi répondu à un certain nombre de questions.

Les différents congés constituent du “service fait” :

Les congés prévus à l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, sont considérés, pour l’application de la réglementation sur les congés annuels, comme service accompli (décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat, notamment le 3ème alinéa de son article 1er : “Les congés prévus à l’article 34 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée sont considérés, pour l’application de ces dispositions, comme service accompli”.)

Nous l’écrivons depuis des années : c’est bien à tort que certaines autorités administratives estiment que les congés de maladie et maternité (notamment) n’ouvrent pas droit à récupération des congés annuels. Ou qu’un certain nombre de congés ne sont pas générateurs d’ARTT (seuls les congés pour raison de santé ne le sont pas).

Il est donc nécessaire de faire le point :

A) Concernant la récupération des congés annuels non pris :

● Sur le fondement du droit européen -qui s’impose au droit frrançais- et bien que l’article 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat prévoie seulement la possibilité de reporter le congé dû sur la base d’une autorisation exceptionnelle du chef de service, le droit au report des congés annuels – mais dans le seul cas du congé de maladie- a été clairement affirmé par une circulaire Fonction publique :

Circulaire Budget/FP du 22 mars 2011 relative à l’incidence des congés de maladie sur le report des congés annuels

(…) la Cour de justice de l’Union européenne a jugé (…) qu’une règle nationale de prescription des congés annuels payés était incompatible avec l’article 7 de la directive lorsqu’elle prive un salarié ou un agent public de la possibilité de prendre tout ou partie de ses congés annuels payés, alors qu’il a été placé en congé maladie sur la fin de la période de référence. En droit français, l’article 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’Etat prévoit la possibilité de reporter le congé dû sur la base d’une autorisation exceptionnelle du chef de service. Au vu de ces éléments, je demande à tous les chefs de services d’accorder automatiquement le report du congé annuel restant dû au titre de l’année écoulée à l’agent qui, du fait d’un des congés de maladie prévus par l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, n’a pu prendre tout ou partie dudit congé au terme de la période de référence”.

● Sur le seul fondement du droit français, il est logique d’accorder le report des congés annuels non pris en raison de congés prévus à l’article 34 (maladie, maternité, accidents de service, formation, etc). En effet, une solution contraire aboutirait à faire comme si les services n’étaient pas considérés comme ayant été accomplis.

B) Concernant l’ARTT :

Les jours de congé prévus à l’article 34 – parce qu’ils sont considérés comme service accompli- sont logiquement constitutifs de jours d’ARTT. Une exception : les congés pour raison de santé (maladie, longue maladie, longue durée), car une disposition législative le précise, l’article 115 de la loi n° 2010-1657 de finances pour 2011 : « La période pendant laquelle le fonctionnaire relevant de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 (…) ou l’agent non titulaire bénéficie d’un congé pour raison de santé ne peut générer de temps de repos lié au dépassement de la durée annuelle du travail. »

On doit déduire de cette exception que, a contrario, les autres congés (maternité, adoption, et tous les congés dont le motif n’est pas une raison de santé) demeurent générateurs d’ARTT.

Suite à différentes interventions syndicales et des personnels eux-mêmes, le MENESR a publié le 9 mars 2016 une circulaire rappelant l’état du droit pour les seuls congés maternité (la circulaire est lacunaire) : ils sont générateurs d’ARTT.

En l’absence de service fait, la rémunération n’est généralement pas due

Suivant l’article 4 de la loi n°61-825 du 29 juillet 1961, il y a absence de service fait : lorsque l’agent s’abstient d’effectuer tout ou partie de ses heures de service ou lorsque l’agent, bien qu’effectuant ses heures de service, n’exécute pas tout ou partie de ses obligations de service. Ces dispositions, supprimées en 1982, ont été rétablies par la loi n°87-588 du 30 juillet 1987 portant mesures d’ordre social.

Le juge a considéré que sont par exemple en situation d’absence de service fait :

  • l’agent absent toute la journée ou quelques heures, sans autorisation
  • l’agent parti en congé annuel sans autorisation et qui n’a pas déféré à la mise en demeure de rejoindre son poste
  • l’agent refusant de rejoindre son nouveau poste malgré une mise en demeure, son affectation n’étant pas “manifestement illégale ou de nature à compromettre gravement un intérêt public”.

L’absence de service fait -en cas de grève par exemple- doit être prouvée par l’administration, au moyen notamment de dispositifs de contrôle de l’assiduité (cf. notamment la circulaire Fonction publique du 30 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des retenues sur la rémunération des agents de l’Etat en cas de grève).

A) Modalités financières de la retenue

La retenue est une mesure purement comptable, affranchie notamment des règles liées à la procédure disciplinaire. Elle est notamment appliquée en cas de grève.

Assiette de la retenue La retenue doit porter sur le traitement indiciaire, l’indemnité de résidence et « les primes et indemnités diverses versées aux fonctionnaires en considération du service qu’ils ont accompli ». Le supplément familial de traitement (SFT) ne fait en revanche pas partie de l’assiette de la retenue.

Montant et portée de la retenue
Montant

Suivant l’article 4 de la loi n°61-825 du 29 juillet 1961, l’absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue d’1/30ème.

Portée

“En cas d’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues porte sur toutes les journées comprises du premier au dernier jour inclus d’absence de service fait, y compris sur les journées comprises dans cet intervalle et durant lesquelles l’agent n’avait aucun service à accomplir, hormis les jours de congés annuels préalablement accordés ” (Conseil d’Etat, n° 03918, 7 juillet 1978).

Dans une autre décision relative à une grève, le juge a toutefois considéré “qu’à défaut de dispositions législatives applicables à ces agents précisant le régime de cette retenue, son montant doit être proportionné à la durée de la grève ”, en comparant la durée de la grève aux obligations de service correspondant à la période au cours de laquelle l’absence de service fait a été constatée (Conseil d’Etat, n° 303588, 17 juillet 2009).

Plafond de la retenue

La retenue ne peut excéder la part saisissable de la rémunération (cf. décret n° 2015-1842 du 30 décembre 2015 révisant le barème des saisies et cessions des rémunérations).

Cette garantie a été réaffirmée dans la circulaire du 30 juillet 2003 citée plus haut.

Incidences de la retenue sur les cotisations Les retenues pour pension et cotisations de sécurité sociale ne doivent pas être opérées sur la fraction de la rémunération retenue pour service non fait (Conseil d’Etat, avis n°169379 8 septembre 1995).

B) Conséquences

Discipline

L’absence irrégulière de l’agent peut donner lieu, en plus d’une retenue sur rémunération, à une procédure disciplinaire. Cette possibilité ne concerne évidemment pas les absences régulières pour cause de grève.

Avancement

Concernant la question de l’avancement, la circulaire n° 2B-01-148 du 26 février 2001 du ministère de l’économie et des finances a établi que l’absence de prélèvement de cotisations ne pouvait avoir d’incidence sur l’avancement.

Annulation d’une éviction irrégulière

L’agent dont l’éviction (exclusion temporaire de fonctions, licenciement, révocation, retraite d’office) est annulée n’a pas droit, en l’absence de service fait, à rémunération de la période durant laquelle il a été évincé. Toutefois, lorsque la décision était illégale sur le fond, l’intéressé peut obtenir réparation, non seulement du préjudice financier, qui correspond au montant de la rémunération que l’agent aurait perçu s’il n’avait pas été évincé (ou de la différence entre l’allocation de recherche d’emploi s’il l’a perçue et la rémunération qu’il aurait dû percevoir), mais aussi du préjudice moral. Une annulation de la mesure d’éviction pour des motifs de forme n’aura pas forcément les mêmes conséquences.

Absence irrégulière de service fait imputable à l’administration

Celle -ci ne peut alors priver de rémunération l’agent : est par exemple illégale la décision suspendant la rémunération d’un fonctionnaire auquel l’administration, sans régler statutairement sa situation, refuse de proposer une affectation. L’administration ne peut refuser de réaffecter un agent qui n’est plus suspendu, et ne lui verser aucune rémunération, en attendant l’issue de la procédure disciplinaire. L’agent peut alors obtenir réparation du préjudice.

L’administration qui réintègre l’agent dont le détachement a été interrompu malgré l’absence d’emploi vacant, alors qu’elle n’était tenue de le faire qu’en cas de vacance d’emploi, doit le rémunérer malgré l’absence de service fait.

Agent empêché d’exercer ses fonctions
Incarcération

L’administration peut alors interrompre le versement de la rémunération, sur la base de l’absence de service fait, sans suspendre l’agent. La durée d’incarcération issue de l’application d’une peine n’est pas prise en compte pour la constitution du droit à pension.

Contrôle judiciaire

Depuis la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, l’agent peut être affecté à un emploi compatible avec les obligations nées du contrôle judiciaire. Sinon, l’absence de service fait peut conduire à la suspension de la rémunération.

Eloignement pour force majeure

Le versement de la rémunération, ne peut être accordé, partiellement ou totalement, que par voie de mesure gracieuse. Est par contre illégale la retenue à l’encontre d’un agent non gréviste ne pouvant accomplir ses fonctions du fait de la fermeture de l’établissement.