Le 18 août, le Directeur des collections de la BnF annonçait
que des contacts étaient en cours entre l’établissement et
Google en vue de numériser une partie de ses collections
imprimées. Alors que la Bibliothèque municipale de Lyon a
déjà signé un contrat avec le géant américain, cette annonce
de la BnF, forte d’une collection de plus de 10 millions
d’imprimés, traduit l’absence de réelle politique nationale de
numérisation.

Une politique de numérisation sans réels moyens.

En 2005, le président Jeanneney entendait contrer l’offensive
menée par Google via son projet Google books en
promouvant l’idée d’une bibliothèque numérique
européenne qui allait prendre forme en 2008 avec le
lancement d’Europeana. Cependant, et faute de réelle
implication budgétaire des états participant au projet,
seulement 1% des fonds des bibliothèques nationales
européennes a été numérisé…
La BnF consacre tous les ans 7 millions d’euros à la
numérisation de ses collections. Si ce budget est important
comparé à celui de ses homologues européennes, il est bien
insuffisant pour répondre aux enjeux culturels et
scientifiques de numérisation et de diffusion du patrimoine
écrit, surtout s’il s’agit de concurrencer une entreprise aussi
puissante que Google qui a pu numériser 10 millions de livres
en cinq ans en proposant aux bibliothèques une prestation
gratuite …

Quel accès au patrimoine numérique ?

Le rapprochement de la BnF et de Google est un revirement
stratégique significatif. Non seulement, Google entend
organiser le transfert des droits des oeuvres épuisées et
orphelines dans le but de créer une librairie en ligne et de
concurrencer des entreprises telles qu’Amazon. Mais pire,
Google entend s’arroger l’exclusivité de l’indexation des
oeuvres numérisées, renforçant ainsi son contrôle sur l’accès
à l’information et au savoir, en contradiction totale avec les
missions des bibliothèques. Nous sommes loin des missions
de conservation, de valorisation et diffusion du patrimoine
dévolues à la BnF. La bibliothèque numérique de Google n’est
pas l’avenir de la démocratisation culturelle, encore moins un
pas en avant dans la libre circulation du savoir, mais son
rabaissement à des enjeux purement économiques.

Renforcer le service public.

Faut-il renoncer, faute de budgets à la hauteur, à l’idée d’une
bibliothèque numérique permettant l’accès de tous à un
patrimoine encyclopédique ? Nous ne le pensons pas et
sommes persuadés qu’une telle ambition ne peut être
réalisée que sous l’égide du service public qui, au contraire
des « partenariats public-privé », est seul à même de garantir
de manière indépendante un accès pluraliste, démocratique
et pérenne au savoir. Quant à la question des moyens
nécessaire à sa mise en oeuvre, elle relève aussi d’un choix
politique : que pèsent les 80 millions d’euros nécessaires à la
numérisation des collections de la IIIème République face
aux 22 milliards d’euros consentis par le gouvernement au
patronat avec la suppression de la taxe professionnelle ou
aux 15 milliards d’euros du bouclier fiscal ?
Faut-il laisser les bibliothèques isolées face à Google, quand
la disparition de la direction du livre et de la lecture du
ministère de la Culture et de la sous-direction des
bibliothèques et de l’information scientifique du ministère de
l’Enseignement supérieur marque l’achèvement d’un
processus de renoncement à toute politique nationale en
faveur de la lecture publique ? Nous pensons au contraire
que contrer Google commande une réponse globale qui
passe nécessairement par l’élaboration d’une loi sur les
bibliothèques, le rétablissement du Conseil supérieur des
bibliothèques, la création d’une direction nationale
interministérielle des bibliothèques chargée d’une véritable
politique nationale en matière de documentation, de
conservation, de numérisation et de lecture publique. Ces
revendications nécessitent la mise en place un plan
pluriannuel de développement des bibliothèques.

Faut-il avoir peur de Google ? Cette question, maintes fois
posée à l’occasion de la polémique suscitée par l’annonce de
la BnF ne permet pas de rendre compte des conséquences
des choix qui seront faits dans les semaines à venir. La
question centrale est plutôt de savoir si le service public se
verra doté des outils nécessaires pour résister à la
marchandisation du savoir. C’est dans ce cadre que le
SNASUB réaffirmera son engagement pour un service public
de la lecture et du patrimoine.

Cédric Dameron